par Michel GUGENHEIM Grand Rabbin de Paris
L’attitude du judaïsme devant la mort
Le judaïsme proclame la pérennité de l’âme. Cette vérité fondamentale selon laquelle
la destinée de l’homme se prolonge au-delà de son existence terrestre sous-tend, en
réalité, l’ensemble de sa doctrine.
En effet, les commandements de la Torah – qui représentent le devoir principal, sinon
exclusif, du peuple juif et qui constituent la trame même de la vie juive – sont
intimement liés dans l’Ecriture au principe de la rétribution. Or, selon la Tradition,
l’essentiel de cette récompense n’est destiné qu’à l’âme et n’est accordé qu’après la
mort. Si bien que la vie ici-bas ne trouve son couronnement et sa pleine justification
que dans la perspective de celle de l’au-delà.
« Rabbi Yaacov dit : ce monde-ci ressemble à un vestibule devant le monde futur : prends
tes dispositions dans le vestibule pour être en mesure d’accéder au palais » (Avot 4, 16).
Une telle conception de la vie est aussi une conception de la mort. Celle-ci n’affecte que
la composante physique de l’homme, mais elle ne signifie nullement la disparition de
l’être, qui est contenu tout entier dans l’âme. Elle consacre, au contraire, l’achèvement
de sa mission terrestre, et son accession à un monde éternel, lieu de la véritable
béatitude.
On a ainsi, à juste titre, comparé la mort à une sorte d’accouchement, douloureux en
soi, il est vrai, mais qui préside à l’inauguration d’une vie nouvelle.
Cette notion de pérennité de l’âme est, de plus, concrétisée et renforcée, dans la pensée
juive, par l’espérance—qui compte parmi les articles de foi—en la résurrection des
morts : à la fin des temps, et selon des modalités imprécises qui ont divisé parfois les
théologiens, les âmes des défunts, ou tout au moins un grand nombre d’entre elles
(voir Daniel 12,2) se réincarneront pour connaître une vie terrestre de félicité.
Aussi, le Juif fidèle n’éprouve-t-il ni terreur, ni désarroi quand il est confronté à la
mort; Il s’agit là d’un phénomène attendu qui ne comporte en lui-même rien de
néfaste :
« Dieu vit tout ce qu’ll avait fait et voici que c’était éminemment bien » (Gen. 1,31). Dans
la Torah de rabbi Méir, on trouve écrit : « et voici que c’était éminemment bien – et voici
que la mort était bonne ». (Beréchit Raba 9,5).
Pourtant le judaïsme reconnaît le droit d’éprouver et de manifester douleur et
tristesse face à la disparition d’un être cher. Il y voit même un devoir puisque la loi
juive a institué et codifié de nombreux rites de deuil, ainsi qu’il sera exposé dans les
pages qui suivent.
Michel Gugenheim, Grand Rabbin de Paris 2
La raison en est très clairement exprimée dans le traité Avot (4,17. à la suite de la
michna précédemment citée) : « Une heure de repentir et de bonnes actions en ce
monde-ci vaut plus que toute la vie du monde futur. Et une heure de félicité dans le
monde futur vaut plus que toute la vie de ce monde-ci ».
Si le monde futur est le lieu par excellence de la rétribution et de la vraie jouissance,
seul le monde présent offre à l’individu la possibilité de progresser, de s’élever, et de
mériter la récompense.
En effet, la cohabitation du corps et de l’âme – apanage exclusif de l’existence terrestre
– est seule capable de créer les conditions d’une mission humaine, et, par la suite, celles
d’une rétribution. L’âme en tant que telle, est toute acquise à Dieu. Mais le corps
sollicite la personne, et l’incite à se détacher de Lui.
De là, résulte la tâche assignée à l’homme, résister aux impulsions physiques,
soumettre, en accomplissant les commandements de Dieu, la matière à l’esprit,
transformer et sublimer le corps en instrument du service divin. De plus, cet
antagonisme qui oppose les forces du corps à celles de l’esprit conditionne aussi le
libre arbitre, qui est lui-même un préalable absolu à toute notion de mérite et de
récompense.
En d’autres termes, le corps représente pour l’âme, une chance unique d’ascension et
d’enrichissement. C’est la perte irrémédiable de cette source de fécondité et de
richesse que nous pleurons.
Ainsi conçus, les rites de deuil ne sont pas stériles, mais salutaires et édifiants pour
ceux qui les observent. Ils les conduisent à prendre conscience du sens véritable de la
vie, et de la nécessité pour chacun de « rentabiliser » de manière optimale le court
passage dans le monde ici-bas; à minimiser l’importance du physique et du matériel; à
refuser, enfin, d’identifier leur être à leur propre corps, pour ne pas disparaître avec lui
au temps où il rejoindra la poussière.
C’est cette même idée qu’exprimait déjà le roi Salomon, de manière quelque peu
provocante (Ecclésiale 7,2) :
« Mieux vaut aller dans une maison de deuil que dans une maison où l’on festoie : là se
voit la fin de tout homme. Et les vivants en tireront la leçon… »
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