Actualités Juives a fait paraitre tout un dossier sur le sujet qui nous préoccupe depuis de longs mois : l’avenir des cimetières algériens. En particulier, Dr Mergui, le président du Consistoire, a été interviewé. Nous voudrions ici réagir à divers éléments qu’il a apportés.

 

  1. «  Aucune tombe ne sera déplacée si elle n’est pas en péril »

 

Définissons la notion de « péril ».

Il peut être soit

  • d’origine humaine = vandalisme

Dans ce cas nous sommes rassurés puisque le Président du Consistoire en question précisait dans son communiqué destiné à la communauté juive (site du Consistoire) :

« Il est à préciser qu’aucune tombe juive n’a été profanée. Aucune dégradation volontaire, aucune inscription hostile n’est à signaler sur  les tombes juives. »

 

  • ou d’origine naturelle

Et nous citons de nouveau ce communiqué

«…. Etat de ruine de plusieurs cimetières juifs. Les raisons sont l’abandon de ces cimetières par les familles, la forte végétation, les tremblements de terres, les inondations, le temps. »

 

Mais dans ce dernier cas, nous rappelons les engagements de l’Etat Français en la personne du Président de la République Président et cités par Mr Jack Yves Bohbot – président de la commission des cimetières d’Algérie : « Cette démarche nous renvoie à une journée historique, celle du lundi 3 mars 2003. Ce jour-là, Jacques Chirac est le premier président de la République française, depuis 1962, à honorer la mémoire des Juifs d’Algérie en se rendant au cimetière juif de Saint-Eugène. Devant les tombes béantes et les ossuaires fracassés, le Président rend un engagement solennel : « Nous veillerons scrupuleusement à ce que le plan de rénovation des cimetières que nous mettons en route avec les autorités algériennes soit respecté… Il faut que chacun puisse venir ici pour se recueillir dignement sur les tombes ».

 

C’est la France qui est responsable de l’entretien de ces cimetières, et elle doit assumer sa responsabilité et ses engagements.

Le Consistoire de France, qui représente les Juifs d’Algérie, ne doit en aucun cas créer un précédent dont les conséquences tragiques seront répercutées à l’échelon mondial, car dans ce cas, tous les cimetières anciens des pays abandonnés par les communautés juives – de la Pologne au Yémen – de la Roumanie à l’Irak sont concernés – Que HaChem nous en préserve.

La question n’est pas à poser en terme de Halakha, car même si nous pouvions exhumer des cimetières en respectant totalement les règles, la décision du Consistoire, qui n’a pas su ou voulu mettre la France face à ses responsabilités, risque de mettre en difficulté l’ensemble des communautés juives de par le monde !

 

La réponse des spécialistes est claire : surtout ne pas donner le signal…

Rav Eliakim Schlésinger de Londres, Roch Yechivath haRama, président du Comité de Préservation des Cimetières Juifs) est plus qu’incisif à ce sujet :

« Voici une vingtaine d’années, a été émis une décision rabbinique signée par tous les rabbanim d’Europe interdisant l’exhumation de cimetières. S’ajoute à présent une autre cause : innombrables sont les cimetières qui sont à l’abandon, et si l’on accepte, que D’ nous en préserve, de les vider, tous les cimetières d’Europe seront mis en danger !

Sur cette interdiction figurent les signatures du rav Kreizwirt, Ravad d’Anvers, le rav Padva, Ravad de Londres, le rav Ségal, le rav Moché Soloveitchik, et, qu’ils aient droit à une longue vie, le rabbi de Pshwork, le rav Touvia Weiss, Ravad de Jérusalem et le rav Schnébalg, Ravad de Mancheter. Le rav Wozhner zatsal, auteur du Chéveth haLévy, avait émis une mise en garde particulièrement forte, disant que toute personne qui en craint pour sa personne n’aide en aucune manière à donner son accord à un tel traitement. »

 

2° « …Seules 1 000 tombes ne seraient concernées »

 

Ce chiffre est gravement sous estimé et ne reflète en aucun cas la réalité sur le terrain : seules les sépultures pierres tombales visibles ont été recensées !

En effet le total de 1 000 sépultures (1 136 exactement) comptabilise par exemple au cimetière de la communauté juive de Montagnac (act. Remchi)  uniquement 5 tombes  et à celui de Lamoricière (act. Ouled Mimoun) seulement 8 tombes !…

Ces communautés juives étaient de taille fort respectable – comment donc ignorer et abandonner les ossements de tous les défunts dont les pierres tombales n’ont pas été retrouvées en surface et donc non recensées…

Peut-on imaginer une profanation et un abandon plus graves que ceux-ci ?

 

3  « Aucune tombe ne sera déplacée si son déplacement ne se fait pas selon les conditions halakhiques »

 

La Halakha ne permet d’exhumation que dans des cas très précis. Là, il ne fait aucun doute que ces conditions ne sont pas remplies, ainsi que cela est dit clairement de la part du président du Consistoire :

« Les raisons sont l’abandon de ces cimetières par les familles, la forte végétation, les tremblements de terres, les inondations, le temps. » A ce compte, tous les anciens cimetières des communautés de l’étranger devraient être exhumés !

De plus, il y a une très grave méconnaissance des règles Halakhiques dans ce qui a été dit, et, malheureusement, le public n’est pas au courant des problèmes très importants qui se posent dans le cas d’exhumations.

1/ Il est interdit de manière absolue que ce soient des non-Juifs qui s’occupent des ossements des défunts : c’est un affront fait à nos disparus.

2/ Il faut que tous les restes funéraires soient collectés, tous les ossements sans exception.

Or il ne fait aucun doute que des employés funéraires musulmans (car aucune compagnie juive à notre connaissance n’œuvre en Algérie – et ce pays exige que ce soient des compagnies locales qui reçoivent ce travail) n’effectueront ce genre d’exhumations avec de tels soins. Quand ce sont des Juifs bien formés qui le font, cela peut prendre, selon le Rav de Zaka, jusqu’à 6 heures pour un seule sépulture quand elle est ancienne.

Même s’il ne s’agirait que d’un millier de corps, il faudrait donc prévoir 1 000 jours de travail pour terminer cette œuvre (en délaissant les pauvres défunts Juifs dont les sépultures sont sans pierre tombales, ce qui est hors de question…).

3/ Les fossoyeurs « étrangers » se contentent d’extraire les ossements visibles et de grande taille, et sont capables de laisser la majeure partie des ossements du défunt dans la terre, que D’ nous en préserve (ceci est valable également quand on effectue une exhumation en France, il faut le savoir et le faire savoir).

4/ Le rav Schlesinger ajoute : « Des tombes anciennes, vieilles de plusieurs siècles, voire de deux millénaires, datant de la destruction du Temple, ne peuvent pas être exhumées, car les ossements tomberont en miette ». Or c’est parfois de tombes aussi anciennes dont il est question, puisque les Juifs étaient en Algérie depuis lors.

 

L’expression redondante du « drap blanc-linceul » est utilisée à bon escient pour rassurer le bon peuple, mais ce n’est vraiment pas de cela qu’il s’agit.

 

  1. « Le dayan Yirmiahou Kohen et le rav Messas zl avaient en leur temps précisé les conditions halakhiques qui devaient être respectées ».

 

Pourtant, le rav Yirmiahou Kohen a, voici deux semaines, émis une mise au point des plus claires !

Voici ce qu’il écrit : « Il est vrai que j’avais exprimé mon avis, avec notre ami, le rav de Paris, rav David Messas zal, en une lettre aux autorités algériennes concernant des tombes spécifiques situées dans des cimetières particuliers, que les Algériens voulaient déplacer. » Visiblement, des tombes juives se trouvant isolées dans des cimetières municipaux, que l’Etat voulait déplacer. « Mais de là à apprendre de là une autorisation à prendre des cimetières entiers et à déplacer une trentaine de ce sites funéraires ! On m’a signalé en plus qu’il ne s’agit que de prendre les tombes identifiées par la présence des pierres funéraires, qui prouvent la présence de tombes juives, mais autour d’elles ont été enterrés des centaines de corps juifs, qui n’ont plus de pierres tombales pour diverses raisons – visiblement, comme ailleurs, ces pierres ont été retirées pour servir à d’autres utilisations privées.

Mais il ne fait aucun doute que d’innombrables autres Juifs ont trouvé le repos dans ces cimetières. Cela serait honteux et scandaleux au niveau international si l’on exhumait juste les Juifs qui ont encore des pierres tombales indiquant leurs tombes, et que le reste de ces cimetières soit abandonné à l’utilisation profane. »

Cette position est confirmée par les plus hautes autorités rabbiniques, dont le rav Bamberger de ‘Haifa, gendre du rav Wolbe zatsal, le rav David Kohen, Roch Yechivath ‘Hévron, le rav Baroukh Mordekhaï Ezra’hi, Roch Yechivath Atéreth Israël, le Badats de la ‘Eida ha’harédith de Jérusalem

 

  1. « Les familles ont la possibilité de ramener en France les sépultures de leurs parents »

Rappelons quelques documents exigés par les autorités pour autoriser ce transfert  :

–          Acte de décès original : Quelle famille conserve des documents aussi anciens ?

–          Photocopie du livret de famille mentionnant le degré de parenté qui confirme que le demandeur est le plus proche parent avec acte de naissance prouvant la filiation du demandeur….mais surtout l’attestation de tous les héritiers autorisant le transfert en France accompagné des copies de leur pièces d’identité :

 Il s’agit de faire signer tous les petits enfants ou arrières petits enfants ! sans exception.

–        Renseignements précis sur le lieu d’inhumation en Algérie (emplacement de la concession, photos…) : Les familles ont quitté l’Algérie il y plus de 50 ans et n’y sont plus retourné – ont-elles pensé à faire ces photos ?

Mais surtout           Procuration mentionnant que la société  de pompes funèbres en Algérie est mandatée pour procéder à l’exhumation.

C’est à dire l’obligation de s’adresser à une pompe funèbre locale – donc de faire confiance aux fossoyeurs algériens  pour traiter avec respect les ossements familiaux et surtout à ne pas en oublier. Inutile de préciser que ceci est en totale opposition à la Halakha, et risque d’entrainer une terrible profanation de ces tombes et une grave offense aux défunts.